jeudi 13 décembre 2007

Michel Barnier dans Le Figaro du 13 décembre

Lien

Plaidoyer pour une agriculture de production durable



La préférence communautaire, historiquement liée à la politique agricole commune, revient régulièrement sur le devant de la scène au gré des échéances électorales ou des délocalisations. Encensée par certains et mise au banc des accusés par d’autres, elle serait pour les uns l’antidote à une mondialisation effrénée, pour les autres la raison du non-développement agricole des pays pauvres ou la cause d’une Europe forteresse.

Et si la nouvelle préférence européenne était tout simplement la préférence naturelle des Européens à être ensemble pour gagner dans un monde plus ouvert et à défendre une identité forgée par leur histoire commune ?

Alors que chacun s’y réfère, force est de constater que l’on ne trouve pas trace de «préférence communautaire» dans les textes juridiques européens, alors qu’elle est un des trois principes de la politique agricole commune (PAC) avec l’unicité du marché et la solidarité financière. Elle est surtout une réalité à travers deux instruments : un tarif douanier extérieur commun et le soutien aux principales productions agricoles européennes. Les objectifs étaient clairs : rendre à notre continent son indépendance alimentaire en offrant des prix raisonnables aux consommateurs, moderniser notre agriculture en assurant des revenus équitables aux paysans et construire notre industrie en libérant de la main-d’œuvre agricole.

Et les résultats ont été au rendez-vous. L’Union européenne est devenue très vite une des premières puissances agricoles du monde, concentrant 80 % du commerce agricole mondial et devenant le premier débouché des exportations agricoles des pays les plus pauvres.

Pourtant, dès le début des années 1960, dans le cadre du Gatt, les États-Unis négocient âprement cette préférence communautaire. De négociations en négociations, l’exception agricole fait l’objet d’attaques régulières et l’accord de Marrakech en 1994 se conclut sur la banalisation de l’agriculture. Et c’est encore la préférence communautaire qui est au cœur des négociations actuelles du cycle de Doha.

Et demain ?

Pour reprendre la formule du président de la République, nous ne devons pas être naïfs. Toutes les régions du monde se défendent et se protègent. Certes la Cour de justice des communautés européennes a confirmé en 2005 que la préférence communautaire ne saurait être une exigence légale. Mais elle admet qu’elle a une valeur politique et qu’à ce titre elle peut être revendiquée par la Commission et les États membres.

Il n’y a donc pas de fatalité en Europe à renoncer à nos propres exigences, à nos propres préférences. L’Union européenne ne doit pas se cacher pour préserver les Européens des dérives de la libéralisation des échanges. Elle n’a pas à s’excuser de vouloir protéger ses secteurs stratégiques, de répondre aux aspirations de plus de 450 millions d’Européens. Car il ne s’agit pas de construire une ligne Maginot. Il s’agit d’assurer la sécurité des consommateurs européens, la loyauté de la concurrence et le principe de souveraineté que l’on invoque au nom de notre vision de l’Europe.

Le point d’appui de ces préférences des Européens, c’est alors la conformité des produits et services importés aux exigences sociales, sanitaires et environnementales que nous avons collectivement et démocratiquement décidées. C’est ce principe qui justifie une protection pour notre secteur agricole. Il y a derrière notre souveraineté alimentaire et la production de biens et services collectifs assurant l’excellence alimentaire et environnementale européenne.

C’est aussi le respect par nos partenaires commerciaux des droits de l’Union européenne notamment en matière de propriété intellectuelle et de règles d’origine : ce sont nos savoir-faire, nos produits, la signature de nos entreprises, la localisation des bassins de production agricole, notre goût qui sont en jeu.

C’est enfin la construction de politiques communes concertées non pas pour lutter contre la mondialisation, mais tout simplement pour être plus forts ensemble dans la mondialisation.

L’agriculture telle que je souhaite la construire est une agriculture de production durable, qui offre une sécurité d’approvisionnement aux Européens, garantit la préservation de notre patrimoine écologique et assure une cohésion territoriale. Elle peut être porteuse de ces nouvelles préférences, de ce modèle de développement européen assorti de règles sociales, sanitaires et environnementales. Ce modèle, nous ne l’imposerons pas, nous devrons le partager au sein de l’Union européenne avec nos partenaires et le porter dans les instances internationales, au-delà de l’OMC.


Par Michel Barnier, ministre de l’Agriculture et de la Pêche

Aucun commentaire: